Work in progress

Image imprimée, 2014









Extrait vidéo, 2014










Extrait vidéo, 2014










Huis van de zusters, photographie, 2012

90 JOURS / EXPOSITION S.VANGOR / ESPACE GALERIE FLUX / 17 OCTOBRE 2014

Sans titre, pointe sèche, 14x21 cm, 2014

Nonante jours…


Sofie Vangor est une artiste engagée. Dans le sens d’une intense implication personnelle qui dépasse toute idée de transe personnelle égotique pour préférer toucher au monde « transpersonnel ». En effet, son travail autobiographique transmue ses virages de vie ou de mort en de fulgurantes percées artistiques qui ébranlent toutes les illusions de maîtrise de sa destinée. Son parcours personnel émaillé de pertes d’êtres chers et de traversées du manque d’autrui, loin de l’avoir abîmée lui a fourni l’occasion de rebondir. Grâce à sa ferveur artistique Sofie Vangor a toujours déjoué trauma,  impasse et  désespoir. Optant pour la gravure, le textile ou l’écriture, elle poétise le grave comme elle aime l’exprimer.
Pourtant après l’exposition abordant le décès de sa sœur, Sofie se promet de quitter ce registre du « grave ». La joie d’être enceinte, à peine 2 mois plus tard, la confirme dans ce revirement vers une période plus douce. Travaillant essentiellement sur la mémoire du corps, de son histoire ancrée dans son corps physique et dans sa mémoire cellulaire, elle se projette dans des productions artistiques plus légères. C’est sans compter avec le destin… Elle accouche prématurément de 2 jumeaux et va se retrouver catapultée dans l’univers hospitalier où elle séjournera, elle et ses enfants plus le père durant 90 jours ! La revoilà confrontée au choc de l’inattendu… Confrontée à ce fil ténu entre la vie et la mort. Sa petite fille et son petit garçon sont de constitution si fragile… L’un devra même être opéré sans certitude de réussite de l’intervention. Pour supporter et s’ancrer dans la réalité de ce nouveau monde qui l’éprouve, Sofie va écrire dans un carnet noir tous les menus faits de chaque jour : les ml de son lait tiré pour ses petits, le peau à peau où la détente n’est pas au rendez-vous, le relevé des nouvelles de la santé de ses jumeaux, les hauts, les bas, les décisions médicales, les nuits passées au couvent pour être au plus proche de ses enfants et assurer un maximum de temps auprès d’eux…                 
Cet objet deviendra la matrice de sa future exposition où elle interroge :
Comment se préparer à la naissance ? Comment l’anticiper ?
Comment se préparer à l’imprévisible ? Comment le traverser ? Comment en revenir ?
Comment en finir avec cette expérience? Comment la digérer ? Comment la transformer en une occasion de partage et de réflexion ? Comment la sublimer ?
Car il ne s’agit pas pour l’artiste de simplement relater son vécu personnel pour boucler le choc traumatisant de cette naissance mais de témoigner d’une réalité encore souvent méconnue des risques de la prématurité. Tout au long de son immersion dans le service de néonatologie, elle va rencontrer des mères qui, comme elle, vont découvrir les arcanes de cet univers hospitalier, de cet univers d’attente entre vie et mort… Au gré de leurs confidences, ces femmes vont évoquer leurs angoisses et leur culpabilité de ne pas être arrivées au terme.  En elles, cependant va se révéler une puissance de guerrières pour sauver leurs enfants en péril.  Telles des louves, elles seront à l’affût du moindre bruissement d’écho positif ou négatif concernant leur nourrisson, prêtes à bondir si tout n’est pas tenté, respecté, écouté. Dans la conception de son exposition, Sofie réserve un espace pour certaines de ces mères qui ont vécu  pareille ou pire traversée qu’elle. L’idée est de leur donner une place pour alimenter et diversifier les types de témoignages. Sofie Vangor, professeur à l’Académie des Beaux Arts de Liège s’implique ici dans une mission très délicate : donner sens et foi à un projet avec des femmes non artistes mais qu’elle reconnaît comme paires au niveau de leur compétence à partager un souvenir écrit, un objet imprégné d’une charge narrative et émotionnelle, un éclat de couleur, etc. où la sincérité sera plus de mise que la qualité du geste ou de la trace…
Pour cette exposition, Sofie va mêler des techniques connues broderies et gravures à des médias nouveaux comme la vidéo. Telles des pièces de puzzle, les techniques vont s’imbriquer progressivement pour constituer l’unité chorale de son propos. L’unité de ces 90 jours !
90 jours, titre de son exposition.
La broderie comme faire-part de sentence… Sur du tissu à vichy bleu et blanc est brodé le texte : « Demain, le docteur… a décidé d’opérer… le cœur… »  L’ambiance pastel se fissure. Annonce glaciale contrastant avec les habituelles réminiscences heureuses du bleu ciel porté par les nouveau-nés… La dentelle de la petite taie d’oreiller où la tête d’enfant ne s’est pas encore posée frémit : « Quand l’enfant viendra t-il s’abandonner au sommeil  sans risque de mort ? Sans angoisse maternelle penchée sur le berceau ? ». Choc de l’annonce. Sofie raconte combien chaque nouvelle quotidienne pouvait devenir claques quotidiennes vécues par elle et son compagnon. Elle dit aussi : « Le tissu ouatine apparaîtra en souvenir des pansements et de la couleur chair. Avec la transpiration comme un esprit habitant la matière. Il y aura des broderies ovales, des représentations de couveuses tamisées comme des utérus artificiels et beaucoup de travaux en horizontal pour exprimer la distance vécue avec mes enfants lors des séparations… »
La gravure qu’affectionne Sofie Vangor sera aussi de la partie. Mais l’artiste cherche des procédés nouveaux pour graver partout. Entre ses cours à l’académie et la vie familiale avec ses 2 jumeaux, toute parcelle de temps est précieuse. Sofie délaisse alors ses supports de zinc et choisit des feuilles en plexiglas qu’elle peut emmener partout avec elle. De sa pointe sèche diamant, elle grave sans relâche sur des morceaux de plastic aux formes nouvelles. Le côté organique qu’elle privilégiait jusque-là avec une prédilection pour la rotondité disparaît au profit de lignes angulaires correspondant au régime strict tant du milieu hospitalier que du milieu du couvent où elle a logé. Les bords de ses réalisations sont poncés pour donner une atmosphère « tourbillon » à ses sujets, en lien avec la perte de repères due à l’immersion forcée dans ces milieux où l’artiste avait l’impression de ne plus être sur terre, extraite de la réalité dans une sorte d’hôpital gratte-ciel.   
 Dans le travail vidéo, le flou sera utilisé comme halo en souvenir de cette brume perpétuelle planant autour de l’hôpital en cette période automnale où sont nés ses enfants. Sorte de lévitation du monde ambiant. Cela s’apparente aussi au moment juste après la naissance, où son corps succombant aux hémorragies s’est momentanément anéanti… Il y aura 7 vidéos, des tableaux en mouvement.            La couleur rouge sera présente, le bleu aussi. Traces de ces couleurs dans sa mémoire : rouge-sang, bleu-gant. Le cadrage sur son visage sera volontairement évité pour permettre une plus ample identification de toute femme regardant la scène. Il y aura un homme pour représenter le père. L’artiste s’étonne et se réjouit de ce retour du corps réellement incarné. Elle a tant dansé plus jeune. A s’épuiser le corps dans une recherche de maîtrise. Elle se dit que cet acharnement physique lui a servi lors des longs temps de peau à peau parfois jusque 10 heures par jour ! Cela lui demandait une énergie terrible de rester si longtemps chargée de ses 2 bébés intubés, la tête emplie de craintes de mal les porter, de mal leur donner, de tout le mal qui pourrait leur arriver…
 « En quittant les soins intensifs et le service de néonatologie, je me suis dit que personne ne peut se rendre compte de cette réalité et de cette guerre pour garder son enfant en vie… Alors, en tant qu’artiste j’ai pensé que je pouvais contribuer à faire connaître ce qui se passe là… J’ai envie de profiter de la journée de la prématurité qui aura lieu le 17 novembre pour développer un tremplin sur le sujet. J’exposerai de fin octobre à fin novembre 2014 à la galerie Flux, rue Paradis. Mes enfants auront 2 ans. »

                                                                                                   Judith Kazmierczak, Le 30 mars 2014.










Sans titre, pointe sèche, 14x21 cm, 2014










Sans titre, pointe sèche, 14x21 cm, 2014